Ce rapport publié par l’Institut Rousseau est une véritable »bombe » sur les actifs fossiles des banques, en raison de l’ampleur des révélations. En voici les grandes idées :
Contrairement à ce que leurs discours et engagements peuvent laisser penser, les banques européennes n’ont pas infléchi leurs financements aux énergies fossiles. Certaines ont même continuellement augmenté leurs soutiens à cette industrie, première responsable des émissions de gaz à effet de serre.
Pourtant, pour respecter l’Accord de Paris sur le climat adopté en 2015, il est impératif de mettre immédiatement fin au développement des énergies fossiles et d’en programmer la sortie progressive et totale. La production mondiale de charbon, pétrole et gaz fossile doit ainsi diminuer de 6 % par an d’ici 2030 pour nous laisser une chance de limiter le réchauffement à 1,5 °C3, une trajectoire aux antipodes de celle que dessinent les flux financiers actuels.
Tous ces actifs fossiles risquent de devenir des « actifs échoués » – c’est-à-dire de perdre fortement de la valeur et de la liquidité, car le respect de l’Accord de Paris entraînera une baisse importante et continue de l’utilisation des énergies fossiles.
L’étude approfondie des 11 principales banques de la zone euro révèle qu’elles cumulent un stock de plus de 530 milliards d’euros d’actifs liés aux énergies fossiles, soit 95 % du total de leurs fonds propres.
Les banques, déjà gangrenées par les actifs fossiles, entretiennent activement l’infection en faisant continuellement entrer de nouveaux actifs fossiles dans leur bilan. En effet, tant que la transition énergétique n’est pas encore clairement engagée, le risque financier de ces futurs actifs échoués ne se reflète pas encore dans leur prix.
Les stocks fossiles des banques varient entre 28 et 80 milliards d’euros. Sur les 11 banques étudiées, 7 détiennent chacune plus de 45 milliards d’actifs fossiles. À elles seules, BNP Paribas et Crédit Agricole SA cumulent 151 milliards d’euros d’actifs fossiles, soit près de 30 % des actifs recensés.
Les actifs fossiles de ces 11 banques de la zone euro représentent l’équivalent de 95 % de l’ensemble de leurs fonds propres. Le ratio actifs fossiles sur fonds propres varie de 68 % pour Santander à 131 % pour Crédit Agricole22. Toutes les banques sans exception devraient mobiliser une part très significative de leurs fonds propres pour absorber une baisse de la valeur des actifs fossiles qu’elles possèdent.
Des actifs échoués, soient sans valeur
Or il existe un véritable risque que les actifs fossiles deviennent des actifs échoués, dont plus personne ne voudrait du fait de leur faible potentiel de prise de valeur et/ou leur mauvaise réputation. Les actifs fossiles vont de plus en plus cumuler ces deux tares23. Comme le souligne notamment Carbon Tracker, la dévalorisation des actifs fossiles apparaît alors comme une conséquence logique des processus de transition en cours et découle du fait que la consommation des réserves d’énergies fossiles exploitées est incompatible avec le budget carbone disponible.
Si l’on prend comme hypothèse une perte de 80 % de la valeur des actifs fossiles à périmètre de fonds propres inchangés, Crédit Agricole et Société Générale – respectivement 3ème et 4ème plus grandes banques étudiées – n’auraient pas assez de fonds propres pour absorber les pertes.
Les fonds propres de la Deutsche Bank et de Commerzbank seraient quasiment épuisés. Ce scénario de pertes s’élevant à 80 % peut notamment être rapporté au fait que – d’après Carbon Tracker – 84 % des réserves d’énergies fossiles explorées ne devraient pas être consommées pour permettre de maintenir le réchauffement climatique à 1.5°C ainsi qu’aux chutes brutales de valeur enregistrées lors de la crise des subprimes.
Le risque d’un effet »boule de neige »
Ces éléments mettent en lumière à la fois la surexposition des banques aux énergies fossiles et l’incapacité de la régulation financière actuelle à prendre en compte les risques financiers qu’ils représentent. Cela est d’autant plus inquiétant que notre étude se concentre uniquement sur la partie émergée de l’iceberg, les actifs intrinsèquement liés à la chaîne de valeur de l’industrie fossile.
Nous ne prenons pas en compte les autres secteurs indirectement associés, auxquels les banques européennes sont encore davantage exposées. On ne peut donc pas exclure un « effet boule de neige » qui ferait basculer le système financier en situation de crise systémique si les secteurs tels que l’aviation, l’automobile ou la pétrochimie, étaient à leur tour pris dans un engrenage de perte de valeur financière.
Les banques freinent la transition écologique
Quand bien même la perte de valeur de ces actifs devait s’étaler sur plusieurs années, le risque que ce rapport entend mettre en avant resterait inchangé : en l’état actuel des fonds propres bancaires, la poursuite du business as usual a fort peu de chances de permettre aux principales banques de la zone euro de faire face à une dégradation de la valeur des actifs fossiles.
De plus, dans la mesure où lesdites banques sont très conscientes de la gravité de ce risque à moyen et long terme, il est probable qu’elles raisonnent dès aujourd’hui par backward induction, autrement dit qu’elles freinent autant que faire se peut la transition écologique en vue de gagner du temps.
Dans ce contexte, le « risque de transition » lié à la vitesse à laquelle nous nous libérons de notre dépendance aux actifs fossiles constitue un véritable défi.
Au regard de cette menace, la première urgence est de changer les règles du jeu pour les acteurs financiers, afin d’empêcher tout nouvel investissement dans les charbon, pétrole et gaz, et arrêter ainsi le développement de nouvelles métastases fossiles