Pourquoi l’ordre international tend vers l’autocratie ? (II)

L’ordre international fait face à des défis majeurs. Il est confronté à des forces motrices nouvelles. Dont l’une principale est cette confrontation entre le monde libéral et illibéral. Face à face qui n’est pas sans rappeler celui du  »monde libre » contre les dictatures au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Volet 2 de notre série d’articles pour comprendre ce bras de fer à l’oeuvre entre ces deux visions et qui redessine l’ordre international en vigueur.

Vers une nouvelle régulation ? Un nouveau intergouvernementalisme ?

Pour retracer ces mutations dans l’ordre international, il est utile de comprendre d’abord comment l’intergouvernementalisme libéral a changé depuis sa création. Les pratiques intergouvernementales libérales remontent au moins au milieu du XIXe siècle. L’ Union internationale des télécommunications(alors l’Union télégraphique internationale), par exemple, a été créée en 1865. Une étape importante a été la formation de la Société des Nations en 1920. Mais le virage décisif vers l’intergouvernementalisme libéral s’est produit après la Seconde Guerre mondiale. 

Depuis lors, les institutions et forums multilatéraux sont de plus en plus devenus des centres de coopération et diplomatiques. La fin de la guerre froide n’a fait que renforcer cette tendance. Il était donc logique pour les observateurs de conclure que les puissances émergentes, notamment la Chine, seraient incitées à maintenir la gouvernance multilatérale et à respecter les règles qui ont contribué à leur rapide essor économique.

Cela ne veut pas dire qu’il faille idéaliser la période d’après-guerre froide. Les États-Unis ont régulièrement exercé leur position hégémonique pour se soustraire aux règles et normes internationales. Washington a accordé un traitement favorable à certains États pour des raisons géopolitiques. Mais agir de manière hypocrite et pratiquer deux poids deux mesures est inévitable dans la façon dont les États dominants concilient le pouvoir coercitif avec des normes contraires.

De nouvelles formes d’organisations

Pourtant, l’intergouvernementalisme libéral demeure un élément crucial de l’ordre international contemporain. Les 20 dernières années ont vu une augmentation du nombre d’organisations régionales, mais pas de la manière envisagée par les triomphalistes libéraux. Ces organisations et forums n’impliquent généralement pas de démocraties industrialisées avancées. Dirigés par la Chine et la Russie, ils imitent la forme de leurs homologues occidentaux mais incarnent des normes illibérales et autocratiques et promeuvent les agendas régionaux de leurs fondateurs autoritaires. 

Dans certains cas, comme les BRICS (fondés en 2009 par le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine – avec l’adhésion de l’Afrique du Sud en 2010), de nouvelles organisations prétendent explicitement représenter des puissances importantes autrefois exclues du système existant de gouvernance mondiale. Les efforts de Moscou pour créer l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) en 2002 et l’Union économique eurasienne en 2014 visaient à délimiter une sphère d’influence russe dans la région eurasienne. De même, l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) – fondée en 2001 par la Chine, la Russie et quatre États d’Asie centrale – s’est explicitement définie comme contrant l’influence hégémonique américaine en aidant à «démocratiser» les relations internationales.

D’autres nouvelles organisations internationales remettent en question le système multilatéral existant en se saisissant de questions similaires ou en créant de nouveaux groupements géographiques qui vont à l’encontre de l’autorité des institutions libérales. Beaucoup de ces nouveaux groupes sont actifs et se mettent en réseau les uns avec les autres, ce qui modifie l’équilibre entre les organismes internationaux libéraux et plus illibéraux. En bref, le tissu intergouvernemental mondial en 2021 semble de plus en plus multipolaire et politiquement illibéral par rapport à celui qui existait deux décennies auparavant.

Des puissances telles que la Chine et la Russie utilisent également largement les initiatives bilatérales pour influencer les attitudes et le comportement de vote d’autres États au sein de forums multilatéraux. Toutes les grandes puissances tirent parti des relations bilatérales ou réalisant des paiements parallèles pour réaliser leurs préférences politiques. Les États-Unis l’ont fait depuis longtemps, tout comme l’Union soviétique pendant la guerre froide. Mais ce qui est frappant, c’est comment de tels efforts modifient désormais les institutions centrales de l’ordre libéral lui-même. 

Les partenaires de l’Initiative de la Ceinture et de la Route (BRI) de la Chine semblent de plus en plus sensibles aux préoccupations de Pékin sur des questions concernant sa politique au Xinjiang ou son bilan plus large en matière de droits de l’homme. Par exemple, en juin 2017, la Grèce – un partenaire chinois de la BRI – a bloqué une déclaration de l’UE au CDH qui aurait critiqué les pratiques de la Chine en matière de droits de l’homme. 

Le président Joe Biden a mis fin au retrait des États-Unis de l’OMS et a promis un plus grand engagement des États-Unis avec les institutions multilatérales, mais ces tendances de l’intergouvernementalisme libéral font partie d’un déclin plus large du libéralisme politique dans l’ordre international. Les formes de gouvernance internationale persistent, mais avec un engagement décroissant envers les valeurs démocratiques et les droits libéraux.

Article source : Pourquoi l’ordre international tend vers l’autocratie ?