« L’élection de Trump le montre : l’inflation est un danger pour la démocratie », une conversation avec Isabella Weber.
Le modèle économique européen vacille : comment survivre aux prochains chocs ?
De l’élection de Trump à la crise politique en Allemagne en passant par les prix de l’énergie et l’inflation, l’économiste Isabella Weber discute le rapport Draghi dans la macro-crise.
Le rapport Draghi dresse un tableau très sombre de l’économie européenne, en particulier de l’écart entre la croissance de la productivité de l’Union et celle des États-Unis. Certains, comme Olivier Blanchard, ont soutenu qu’une grande partie de cet écart s’explique en fait par la dynamique démographique. Quelle est votre analyse ? Est-il juste de dire que l’économie européenne est au bord de la « lente agonie » — ou avez-vous une vision plus nuancée ?
Le modèle économique de l’Europe traverse une crise très grave.
Ce n’est pas nécessairement à cause des indicateurs de productivité qui figurent dans le rapport Draghi — si l’on décompose la productivité en fonction des secteurs, certains sont plus critiques que d’autres.
Je suis assez sceptique par exemple sur la façon dont nous mesurons la productivité dans les secteurs de la finance et de l’assurance, de la santé et des services professionnels. Je ne pense pas que le secteur financier américain soit plus productif que le secteur financier européen. La question qu’on doit se poser est d’ailleurs de savoir s’il s’agit vraiment d’un secteur « productif » : le secteur de la santé apparaît comme plus productif aux États-Unis que dans l’Union dans le rapport — mais cela pourrait simplement refléter la financiarisation et la privatisation. Si j’en crois mon expérience, le secteur de la santé aux États-Unis n’est pas plus productif que celui de l’Europe.
Ce que je veux souligner en disant cela, c’est que si l’on procède à la décomposition réelle des mesures de la productivité, on constate que le cœur du problème n’est en fait pas vraiment là.
Cela étant dit, l’Europe traverse une crise de son modèle économique au sens où sa position dans le monde a changé de manière spectaculaire avec l’escalade des tensions entre les États-Unis et la Chine et la guerre d’agression russe en Ukraine. Il s’agit d’une crise des marchés d’exportation, de la faiblesse de la demande intérieure, de la position des entreprises européennes dans le monde et de la structure industrielle — pas d’une crise de la productivité dans certains secteurs.
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